« Est-ce que vous attendez une autre personne? »
Me demande pour la troisième fois le serveur du restaurant comme pour me rappeler que je suis la seule de la table à ne pas être accompagnée. J’ai déposé ma veste et mes amis m’offrent leurs sacs-cadeaux pour combler le vide de la chaise à côté de moi.
«Non, nous serons sept » explique pour la troisième fois la fêtée au serveur amnésique.
Autour de moi trois couples, totalisants 30 ans de vie commune. Cinq gars, une fille, faites vos propres déductions. J’ai fait le (triste/heureux) constat dernièrement que j’étais entourée de couples stables et ce, peu importe mon groupe d’amis.
Ici, ce sont trois amis du secondaire qui ont comme dénominateur commun (à part moi!) d’avoir rencontré leur « âme soeur » au début de la vingtaine et depuis, ces couples sont devenus respectivement propriétaires; d’une maison, d’un condo et d’une fillette.
Ce soir, ça m’a sauté aux yeux : je baigne (sans bouée) au milieu d’amour, de bonheur et de gens qui glorifient la vie à deux et pour qui, passer une seule nuit sans l’être cher devient une épreuve digne de Fear factor.
Autour de cette table, ils parlent de leurs projets communs, le « je » étant remplacé sans contrainte par le « nous ». Ils ont des regards et des sourires complices, ils se taquinent, ils complètent la phrase de l’autre et s’esclaffent de rire en racontant leur dernier voyage à New-York.
Certes, au cours des années, ils se sont disputés, déchirés, détestés, mais ils sont restés unis, malgré les difficultés qu’apporte la vie de couple. Pis ça ben, ça te rentre dedans.
Quand toi, dans les six dernières années, tout ce que tu as réussi à construire c’est un semblant de couple en bâton de popsicle et que tu as dû te battre pendant quatre mois pour faire tenir la colle et le garder en un seul morceau, tandis que celui que tu avais avant ne tenait même plus que par des tie wrap!
À travers les « mon amour », « mon chéri » et « chatonne », la bonne fille se sent un peu ostracisée. Comme d’habitude, elle est la célibataire de service, la responsable des chiffres impairs, la only the lonely. Des statistiques, elle est la marge d’erreur, de la règle, l’exception.
Cette chaise est toujours vacante. Comme son côté de lit d’ailleurs, sauf que ça, personne en est témoin. En fait, cette chaise déserte c’est comme avouer publiquement son célibat. Bien sûr, elle pourrait avoir un amoureux et prétexter un empêchement pour être présent à cette soirée, qui le saurait?
Elle. C’est suffisant.
Malheureusement, il est plus facile de satisfaire un vide dans un lit que de trouver la personne idéale pour cette chaise inoccupée. Si j’estime l’immaturité de mon ex, j’aurais besoin d’une chaise haute! Si je regarde l’âge moyen des hommes qui m’invitent pour un « café » : une chaise berçante ferait l’affaire. Et finalement, si je repense à la manière dont ça s’est terminé avec le dernier : j’opterais pour la chaise électrique!
Je ne veux pas non plus jouer à la chaise musicale et prendre le premier quidam qui viendra s’asseoir lorsque la musique s’arrêtera. Je m’amuse à m’imaginer mes prétendants faire le tour de cette chaise orange au design suédois en tapant des mains sur les rythmes endiablés de la compagnie créole, mais je m’égare.
Pour l’instant, je suis bien obligée de constater que les vestes et les paquets cadeaux font une meilleure job, même si la dernière chose que je veux entendre c’est : « vaut mieux être seul que mal accompagné ».
Come on! Dites ça à un aveugle qui a une tortue comme chien-guide, pas à moi. En fait, j’ai compris que je ne veux plus occuper cette chaise avec n’importe qui. Je ne veux pas d’un chum juste pour colmater ma solitude ou pour m’obstiner de façon coquine au resto pour savoir qui va payer l’addition : « C’est moi! Non c’est moi, j’insiste hi!hi!hi! »
-Pis? Toujours personne dans ta vie? me demande avec la subtilité d’un 18 roues, celui qu’on surnomme mon chéri.
-Tu sais ben que c’est une célibataire endurcie! Se charge de répondre, Chatonne.
Je déteste ce mot « endurcie » ça veut dire quoi au juste? Que j’ai de la corne autour du coeur ou pire dans la région du bikini? Endurcit, je suppose que ça veut dire que j’ai appris à vivre avec? Les gens prennent pour acquis que mon célibat m’arrange. Oui, peut-être bien, si on considère que j’ai autant choisi mon célibat qu’un Somalien, la famine.
Mais ce soir, entourée de ces couples, je me sens vraiment pas dans la gang. Y’a pas de honte à être célibataire, mais c’est pas la gloire non plus pour moi. Ca y est : le vide de ma chaise a immigré jusque dans mon coeur, j’ai la gorge qui se resserre et je sens une montée humide dans mes yeux.
Ouf! Notre serveur revient pour l’addition:
– Une seule facture pour vous j’imagine?
-Non, ce soir c’est les manteaux qui payent!
Lui dis-je, avec un ton de : BRAVO pour ta perspicacité le grand! Lâche la restauration, il parait que la CIA recrute en ce moment!
–Ah ben vous savez ce qu’on dit? Vaut mieux être seul que mal accompagné!
Il n’a pas eu de pourboire.
LBF
Fin de la séance 12
Vous êtes un des rares blog à allier des articles pertinent et simple. Alors je tenais à vous dire merci.
Et c’est très apprécié, merci.
En vous lisant, je me suis revue il y a un peu plus de 10 ans!
Maintenant mariée, avec deux enfants. Un soir où je rêverais de revivre une soirée en mode « célibataire ». Parce que oui il faut subir les bas, même si on se régale des hauts. Le « nous » est génial. Mais le « je » me manque. Surtout quand « je » doit tout assumer alors qu’il y a nous.
Votre vie n’est pas celle des autres. L’essentiel, quel qu’en soit le format, c’est que cela vous rende heureuse!
Et il y a des soirs, comme celui ci, ou le bonheur est ailleurs.
C’est ainsi.
Vous lire m’a reconnecté avec un moi plus ancien.
Merci.